L’emploi, l’après-pétrole et la sécurité alimentaire sont “les trois défis majeurs” que doit relever l’Algérie, a indiqué, hier à Alger, lors du forum du journal DK News, M. Issad Rebrab, président du conseil d’administration du groupe Cevital. “Ces trois défis, s’ils ne sont pas relevés dans les temps, nous risquons d’aller droit au mur et connaître la déstabilisation du pays”.
Évoquant le défi de l’emploi, le patron du groupe Cevital souligne que tous les experts algériens prévoient 10 millions de nouveaux demandeurs d’emploi d’ici 2020, c’est-à-dire dans sept ans. “Si on n’arrive pas à endiguer aujourd’hui le chômage, à ajouter aux 10 millions de nouveaux demandeurs d’emploi d’ici 2020, c’est la déstabilisation du pays qui nous attend”, craint l’invité du forum de DK News. Il faudra créer au moins 1,2 million d’emplois par an. Le patron de Cevital est confiant sur la capacité de l’Algérie à faire face à ce défi.
“Nous n’avons aucun problème. Nous sommes dans un pays où tout est à faire. Nous avons des avantages comparatifs par rapport à l’Europe, qui nous permettent d’avoir une économie saine et très compétitive”, a-t-il ajouté, précisant que “le temps nous est compté”. Issad Rebrab a évoqué plusieurs pistes pour créer de l’emploi. Ce qui est certain, selon lui, ce n’est pas les pays qui disposent des ressources naturelles qui deviennent les plus riches mais ceux qui les transforment. M. Rebrab cite l’exemple de la pétrochimie. Aujourd’hui, l’Algérie exporte son propane au prix moyen de 600 dollars la tonne. Si le propane était transformé localement en propylène, la tonne serait vendue à 1 200 dollars. À son tour, si ce propylène était transformé en polypropylène, le prix de la tonne sera de 1 800 dollars.
La transformation du polypropylène en tissu non tissé, il serait cédé à 3 000 dollars la tonne. Le tissu non tissé transformé en tenue jetable pour chirurgien, le prix de la tonne atteindra 10 000 dollars. Par ailleurs, avec le polypropylène on peut faire des milliers de produits et créer plus de 3 000 PME/PMI qui peuvent être toutes exportatrices, tout en couvrant les besoins du marché national. Le deuxième exemple donné par M. Issad Rebrab est celui des fenêtres. Des études réalisées font ressortir qu’un seul pays, la France, utilise 12 millions de fenêtres par an, les trois quarts pour la réfection des anciennes fenêtres. Une réglementation européenne imposant des fenêtres en double vitrage. “Notre analyse nous a révélé que dans la fabrication d’une fenêtre en PVC, 45% du prix de revient va à la main-d’œuvre.
On a constaté aussi que sur ces 45%, le différentiel de coût d’une heure industrielle en Europe est de 35 à 40 euros. En Algérie, le coût de l’heure industrielle est seulement de 4 euros. Du coup, nous avons une marge de compétitivité de près de 40%”, explique M. Rebrab, ajoutant que Cevital “n’a aucun problème pour battre les Européens, même sur leur propre terrain”. C’est, aussi une activité génératrice d’emplois. “Pour produire 2 millions de fenêtres par an, vous avez besoin de 3 000 travailleurs”, argue-t-il. Des exemples de niches d’emplois, Issad Rebrab peut en donner des centaines. Cependant, le patron de Cevital affirme que pour être compétitif, il faut construire des usines de taille mondiale. “Nous pouvons sans aucun problème relever les défis qui nous attendent, pour peu qu’on libère les initiatives”, assure le patron de Cevital, critiquant la concession des chantiers de construction aux Chinois et autres pays. “Pourquoi on ne les donnerait pas à des entrepreneurs algériens, qu’il faut accompagner en matière de formation de leur personnel ?” s’est-il interrogé.
M. Rebrab a annoncé que Cevital a l’intention de créer une grande entreprise de construction. “On voudrait faire une démonstration que les Algériens peuvent réaliser plus vite que les Chinois des produits de qualité et aux meilleurs coûts”, a-t-il indiqué. Selon le patron de Cevital, l’après-pétrole, le deuxième défi que l’Algérie se doit de relever, a déjà commencé. Notre population atteindra 50 millions d’habitants d’ici 2025. Nous allons avoir moins de pétrole et moins de gaz à exporter. Si on ne remplace pas cette rente pétrolière par une autre richesse, fruit du travail des Algériens, nous risquons une nouvelle cessation de paiement, comme celle des années 1980. Le troisième défi, c’est celui de la sécurité alimentaire. M. Rebrab indique que les stocks, au niveau mondial, des produits de première nécessité n’ont jamais été aussi bas.
“Il y a des produits qu’on peut produire localement, comme le blé, les graines oléagineuses, les légumes secs. Par contre, on ne peut pas produire de la canne à sucre ou la betterave sucrière en Algérie”, déclare le patron de Cevital. “On est obligé d’aller dans des pays où l’eau est gratuite et abondante, où il y a des terres, dans des pays africains, pour investir et sécuriser nos approvisionnements”, a-t-il indiqué. “En allant dans ces pays, on va créer aussi des revenus pour l’Algérie”, a-t-il ajouté. Le patron de Cevital plaide pour un partenariat entre entrepreneurs et l’État. “Il faut un débat national. Il faut une entente entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics”, a-t-il plaidé, insistant sur la nécessité de “libérer les initiatives”.
Interrogé sur les informations faisant état de l’intérêt pour Cevital de reprendre le projet du complexe sucrier de Markala, au nord du Mali, après le retrait du sud-africain Illovo Sugar, Issad Rebrab a indiqué que les discussions sont toujours en cours. “Il n’y a rien de concret”, a-t-il affirmé. Le patron de Cevital indique que son groupe a plusieurs projets, au Soudan, en Éthiopie, au Mozambique, au Kenya et à Djibouti. Concernant les travailleurs de Michelin Algérie,
M. Rebrab a réitéré l’engagement de Cevital à reprendre la totalité des travailleurs. Cevital a déjà reçu le choix effectué par certains travaileurs, la majorité. “On est en train d’étudier dossier par dossier pour orienter chacun vers l’unité qui l’intéresse. Nous avons sollicité les pouvoirs publics pour nous louer, s’ils ne veulent pas nous vendre, une unité fermée à Sidi Moussa pour créer 3 000 emplois, pour la fabrication de fenêtres double vitrage. Si les autorités nous répondent favorablement, nous allons essayer de donner satisfaction à tout le monde”, a-t-il indiqué.